Début avril 2022, les quatre classes de quatrièmes qui participaient au Prix Jeunesse Verdon ont eu l’occasion d’échanger avec une autrice. Ils avaient préparé les questions en amont, accompagnés par la libraire Léa et par leurs enseignants.
La logistique et les plannings étant serrés, Louison Nielman a échangé avec les élèves en visioconférence, autour de son roman Féminine, paru aux éditions Scrinéo [collection Engagé].
A l’issue de ces quatre heures d’échanges, une heure par classe, nous avons essayé de retranscrire au mieux ce qui s’était dit. Certaines questions ayant été posées dans plusieurs classes, nous avons parfois rassemblé les réponses, et organisés cette synthèse par thème.
Voici une retranscription, dense mais probablement non exhaustive, de ce qui s’est dit pendant ces quelques heures de discussions riches et passionnantes !
POURQUOI CE LIVRE ?
Pourquoi ce titre Féminine ?
Je voulais montrer ce personnage féminin qui est en lutte avec son féminin. Et la boxe aussi, a priori ça s’oppose au féminin. C’est un titre qui a été proposé par l’éditeur, pour contrebalancer le côté masculin de Gabrielle.
Pourquoi une fille et pas un garçon pour aborder le sexisme ?
C’était plus difficile de mettre Maël au centre du décor.
En tant que fille, c’était plus facile pour moi de parler d’une fille.
Mais j’ai écrit un livre où il n’y a que des garçons : Tic tac boum.
Pourquoi as-tu écrit ce livre, pourquoi écrire sur le féminisme ?
Mon précédent roman, #trahie c’était un choix, une écriture spontanée, je voulais écrire sur le harcèlement depuis longtemps. Pour Féminine, c’est l’éditeur qui est revenu vers moi, qui m’a demandé d’écrire sur le sujet, c’était une commande.
Ça n’a pas été simple à écrire au début, parce que je me suis demandée si j’allais réussir à traiter le sujet, à m’en emparer. Moi je n’ai jamais été victime d’un gros sexisme. Il a fallu que je m’approprie le sujet. J’ai fait des recherches, j’ai lu beaucoup d’articles. J’ai fait le choix d’aborder le sujet par les stéréotypes, c’est un parti pris.
Pourquoi la boxe ?
Je voulais montrer la puissance masculine qui peut être aussi chez une femme. L’héroïne a un sacré caractère !
La vie est un ring : on prend des coups, on se relève. Je voulais montrer l’audace.
Et questionner aussi : est-ce que notre puissance intérieure est liée à notre sexe ?
INSPIRATION/EXPERIENCE
Est-ce que c’est une expérience que vous avez vécu dans votre jeunesse ?
Non, je ne viens pas d’un univers sexiste, j’ai la chance d’avoir un mari qui n’est pas du tout sexiste.
Mais en tant que femme en ville, je fais attention. Par exemple, quand je porte une jupe courte, je mets un manteau long. Quand je marche le soir, je fais semblant de téléphoner, ça me rassure. Je ne trouve pas ça très juste. Les garçons se font rarement siffler.
Il peut y avoir des coups physiques mais aussi des coups verbaux. Ça m’est arrivé une fois, qu’on me mette la main aux fesses. Malgré mes armes pour me défendre, ce jour-là j’étais KO.
Est-ce que certains personnages sont réels ?
Non, tout est de la fiction. Mais évidemment mes personnages sont nourris de ma vie personnelle.
C’est ça que j’aime aussi : en tant qu’auteur.ice, on met forcément un peu de notre vie, de nos expériences dans nos romans. Mais il n’y a que nous qui savons ce qui nous appartient, et ce qui est inventé !
D’où vient l’inspiration pour Féminine ?
Je me suis inspirée d’articles, de vidéos, sur comment le sujet est traité dans les collèges. C’est comme ça que j’ai découvert le théâtre forum. Les débuts n’ont pas été fluides, ça m’a demandé beaucoup d’efforts.
Je me demandais : “wouah est-ce que je vais y arriver ?”
Est-ce qu’il y a une/des œuvres qui vous ont inspirée pour Féminine ?
Non pas vraiment. C’était volontaire, je ne voulais pas être influencée. J’ai regardé quelques vidéos, sur comment le sujet est traité dans les collèges. Et sur le théâtre forum.
LES PERSONNAGES
Gabrielle, elle vient d’où ? Est-ce qu’elle vous ressemble ?
Elle vient de mon imagination. Et oui elle me ressemble un peu, par son côté entier, cash.
La vie est un ring. On ne sait jamais ce qui nous attend. J’ai vécu des trucs qui m’ont mis K.O. et qui m’ont donné de la force aussi.
Je suis sincère, je déteste l’hypocrisie. Quand elle parle avec Manon, elle y met les formes, ce qu’elle fait moins avec Capucine.
et d’où vient Maël ?
Il vient de l’envie de montrer à quel point l’éducation et la société peuvent empêcher un garçon de montrer sa part de sensibilité, de féminité.
Maël, c’est un hypersensible avec une carapace. Il vit à côté de lui-même parce qu’il a du mal à exprimer ses émotions.
J’ai eu beaucoup de mal à définir Maël : au départ, il y avait plusieurs épisodes avec sa famille.
Maël, Gabrielle : ce sont des prénoms mixtes, est-ce que c’est volontaire?
Oui tout à fait, parce que souvent, derrière les prénoms mixtes il y a quelque chose …
On a tous une part féminine et une part masculine en nous : la sensibilité d’un côté, et l’esprit d’entreprise de l’autre. C’est parfois difficile d’assumer la part opposée à notre sexe. Peut-être que dans Gabrielle peut se cacher un garçon, et dans Maël une fille…
Pourquoi Gabrielle est-elle aussi agressive?
Parce qu’elle ne sait pas trop si elle va être attirée par les garçons ou par les filles. Elle met Capucine à distance pour se protéger, mais en même temps elle a peur des garçons, de ce que son corps peut susciter chez eux. Elle lutte contre tout ce qui se passe en elle, contre son corps qui se transforme en corps de femme.
Gabrielle elle est en colère contre le sexisme : c’est pour ça qu’elle fait de la boxe. Elle est à fleur de peau, sur la défensive. La seule arme qui lui reste c’est sa spontanéité.
Maël et Gabrielle, ils ont chacun un masque social, qui est différent de ce qu’ils sont à l’intérieur.
Connaissez-vous quelqu’un comme Maël qui joue un rôle ?
Oui plein. On est des êtres humains avec des failles et c’est normal. Mais souvent on regarde surtout les failles et on ne voit plus le reste, c’est dommage.
Pourquoi ce prénom Gabrielle?
Je ne sais jamais comment je trouve mes prénoms. C’est comme quand j’attendais mes filles.
Et puis Gabriel c’est le nom d’un archange, je voulais que ça porte chance à mon personnage.
Quel est votre personnage préféré dans Féminine ?
J’aime beaucoup Maël et Timéo aussi. Ils m’ont donné du fil à retordre!
LE MESSAGE DU LIVRE
Avez-vous voulu faire passer un message en écrivant ce livre ?
Toujours.
Je veux faire prendre conscience qu’on peut parfois se mettre dans la peau d’un personnage, et se demander “si j’avais été lui ou elle, est-ce que j’aurais fait pareil?”
Qu’est-ce qui définit ma puissance intérieure? est-ce que c’est mon sexe?
C’est important de s’unir dans les différences, qui sont des richesses.
Ce qui nous donne de la force, ça peut venir de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Il faut chercher la force au fond de soi, le courage. Avant de faire, il faut être. Vous êtes en pleine construction, c’est le moment pour choisir.
Et vous, qu’est-ce qui vous rend riche ?
Les amis, la famille. La solidarité, le respect, la tolérance.
ECRIRE LE LIVRE
Vous écrivez comment?
J’écris sur ordinateur. J’ai besoin de lumière, et mon bureau est très sombre. donc les quelques fois où je peux écrire une journée complète, le matin je me mets dans ma salle, en silence. Et l’après-midi, je me mets au salon, avec un thé, la télévision en fond, et souvent le chat qui vient me faire des câlins. Au bout d’un moment, j’éteins la télé, quand je n’ai plus besoin d’un bruit de fond.
Et quand je suis en vacances, j’écris sur un cahier ou un calepin, j’en ai toujours un avec moi.
Je m’interdis d’écrire les week-ends.
Est-ce qu’il vous arrive de manquer d’inspiration ?
Ces jours-là, je n’écris pas. Mais ça ne m’est jamais arrivé d’avoir une vraie page blanche. Ma hantise c’est de ne pas réussir à honorer mes commandes.
Et quand on stresse on crée moins.
Combien de temps ça vous a pris pour écrire ce livre ?
Ça se fait en plusieurs étapes : le premier jet, je dirai 35 heures environ, étalées sur plusieurs semaines. Après, je laisse le texte de côté un moment et puis j’y reviens un peu plus tard. Je fais ça 3 ou 4 fois.
Pour Féminine, j’ai beaucoup tâtonné au début, ce n’était pas fluide. Je travaille sans plan détaillé. J’ai beaucoup de mal à me canaliser et les éditeurs me remettent sur les rails.
Mais il n’y a pas de règle. Il y a d’autres livres que j’ai écrit très très vite. Un album pour les petits, ça peut aller de 10 minutes à 1 heure.
Les romans ça prend plus de temps. Je ne sais jamais comment je vais terminer un roman. A un moment les personnages m’embarquent, et j’ai parfois le sentiment que ce n’est plus moi qui écris.
Vous avez déjà eu une longue période de page blanche ?
Quand je sens que ça pêche un peu en général c’est au moment où les petites vacances arrivent, donc j’en profite pour me ressourcer. Même si ça me démange d’écrire, je n’écris pas, mais je lis beaucoup dans ces moments-là.