Louison Nielman au collège Henri Nans : autour de Louison

Début avril 2022, les quatre classes de quatrièmes qui participaient au Prix Jeunesse Verdon ont eu l’occasion d’échanger avec une autrice. Ils avaient préparé les questions en amont, accompagnés par la libraire Léa et par leurs enseignants.

La logistique et les plannings étant serrés, Louison Nielman a échangé avec les élèves en visioconférence, autour de son roman Féminine, paru aux éditions Scrinéo [collection Engagé].

A l’issue de ces quatre heures d’échanges, une heure par classe, nous avons essayé de retranscrire au mieux ce qui s’était dit. Certaines questions ayant été posées dans plusieurs classes, nous avons parfois rassemblé les réponses, et organisés cette synthèse par thème.

Voici une retranscription, dense mais probablement non exhaustive, de ce qui s’est dit pendant ces quelques heures de discussions riches et passionnantes ! 

LE PARCOURS

Est-ce que vos parents vous ont soutenue dans votre écriture ? 

Non pas vraiment. Je crois que pour mon entourage, écrire ce n’est pas vraiment un métier. 

Mais ils m’ont inscrite en médiathèque quand j’étais enfant, et c’est ce qui m’a ouvert aux livres et à l’écriture. Donc c’est quand même un peu grâce à eux que j’écris.

Vos proches sont-ils vos premiers lecteurs ? Leurs avis sont-ils importants pour vous?

Pas trop non. Ce sont surtout mes éditeurs qui me relisent, ils sont très critiques, donc c’est bien ça m’aide. 

Mes filles ont 20 et 24 ans maintenant, je les force un peu parfois, je leur demande de me lire, surtout quand j’ai besoin d’un avis. Peut-être quand elles seront/si elles deviennent mamans, elles liront mes albums pour les tout-petits. 

C’est difficile pour l’entourage : pour eux, ce n’est pas vraiment un métier, ils ne se rendent pas trop compte. Ou bien au contraire, ça génère parfois de la jalousie.

Quand vous étiez jeune, vous pensiez que ça se réaliserait ? 

Non, pas du tout. Mais finalement, je me suis donnée les moyens. Les réseaux sociaux m’ont beaucoup aidée, la première maison qui m’a publiée m’a contacté par facebook.

Depuis quand écrivez-vous? Pourquoi ce métier ?

J’écris depuis que j’ai 7 ans. De mes 7 ans à mes 20 ans, j’écrivais beaucoup : des cartes, des poèmes, des journaux intimes, des nouvelles… J’ai gardé ces textes de l’enfance et de l’adolescence. 

Je me suis arrêtée quand je suis devenue professeur d’anglais, pendant 10 ans, et puis après je suis devenue maman. A ce moment-là, je n’avais plus assez de temps. 

C’était mon rêve d’enfant d’être publiée. Quand j’étais petite je disais “Je veux écrire un livre pour qu’il soit dans une bibliothèque, pour ne jamais être morte”.  Je pensais que je pourrais devenir éternelle par les livres, ne jamais mourir. 

 

Je me suis remise à l’écriture en 2012, suite à un défi lancé par un ami. Et quand j’ai regardé sur internet comment faire pour envoyer un manuscrit, je me suis rendue compte que c’était très accessible. Sur les sites des maisons d’édition il y avait un bouton “envoyer un manuscrit” : c’était magique, c’était tellement facile en fait ! 

Mais quand j’ai repris ce que j’avais écrit quand j’étais jeune, ça ne me ressemblait plus. Donc je me suis remise à écrire.

Quand j’ai commencé, j’ai été super critique envers moi-même. 

Comme une petite fille qui débute dans la vie. 

 

Mes premières publications, c’était des albums pour les tout-petits, chez des petites maisons d’édition : Au royaume des dents de lait 

Quelque temps plus tard, j’ai été publiée par une grande maison parisienne, toujours un album pour les tout-petits : Mon temps calme avec Noah le panda

Puis j’ai appris qu’une maison d’édition cherchait un.e psychologue pour diriger une collection pour les tout-petits. J’ai écrit sans pression, sans y croire. Et en fait j’ai été choisie. 

J’ai toujours peur que ce rêve ne s’arrête.

Vous mettiez vos textes sur les réseaux ?

Non, c’est trop facile de copier, c’est très répandu. Mais je travaillais beaucoup avec des illustrateurs, pour les albums. Donc je mettais un résumé et quelques extraits. 

Mais je ne travaille plus en tandem, parce que certaines maisons d’édition voulaient seulement le texte et pas le dessin. Ma loyauté va d’abord à l’illustrateur. Donc maintenant, il faut que l’éditeur accepte le tandem, ou rien. 

Mais dans 80% des cas, je ne choisis pas mes illustrateurs, c’est la maison d’édition qui décide. Ou bien parfois, je leur propose quelqu’un mais la personne n’est pas disponible. 

LOUISON NIELMAN, C’EST QUI?

Quels sont les livres qui vous ont marquée?

Les fleurs du mal de Baudelaire. Le Petit prince, d’Antoine de Saint Exupéry. L’alchimiste de Paolo Coelho. Le parfum de Patrick Süskind. 

Ce sont des textes qu’on redécouvre quand on les relit.

Quel est votre point de départ en tant qu’écrivaine ? 

Quand j’étais enfant j’avais très hâte d’apprendre à lire, j’ai appris très tôt. C’était la seule chose que je savais faire à l’école : lire et écrire. C’est magique d’écrire, on voyage dans sa bulle.

Quels sont vos goûts de lecture ?

Je lis beaucoup de polars, thrillers, et puis des feelgoods, des romans légers pour évacuer la pression du boulot. 

J’adore le petit prince, c’est ma référence. 

Je choisis mes lectures à partir du titre, de la quatrième de couverture et puis souvent je lis le début aussi. 

La lecture, c’est bien pour grandir à l’intérieur de soi.

Qu’est-ce qui vous fera arrêter ? 

RIEN. Je me suis fait la promesse de ne jamais m’arrêter d’écrire, jusqu’à mon dernier souffle.

Vous êtes fière de ce livre?

Je suis toujours un peu gênée sur cette question. 

Je suis fière de mon travail mais aussi de ce que ça suscite.

Je suis fière à chaque parution, parce que c’est un nouveau défi, un nouveau cadeau à chaque fois. Je réalise mon rêve d’enfant. Je me permets de m’auto féliciter, j’éprouve de la fierté oui, et de la gratitude, mais je garde les pieds sur terre, je sais que c’est un rêve qui peut s’arrêter à tout moment.

Je suis satisfaite de ce que j’ai. Lors des dédicaces en salon, j’ai le temps pour écrire de vraies dédicaces d’une demi page. Quand je vois les auteurs très célèbres, qui ont des queues de deux heures : eux ne peuvent pas écrire de dédicaces personnalisées ils n’ont pas le temps.

Pourquoi avoir pris un pseudonyme ? 

A côté de mon métier d’écrivain, je suis psychologue, et je voulais protéger mes patients. J’ai choisi Louison parce que c’est un prénom mixte et sans âge, quand on ne me connaît pas. Et Nielman est l’anagramme de mon prénom Mélanie.

Vous avez des préférences dans vos créations ?

Oui et non. C’est toujours une grande émotion quand je lis à des enfants. Si je devais choisir, j’aurais une préférence pour mon premier livre dans une maison parisienne..

LE MÉTIER

Pourquoi avoir changé de métier ?

J’ai beaucoup aimé le métier de prof. J’ai beaucoup appris sur moi-même. Je voulais déjà être psychologue quand j’étais au lycée. Dans la famille de mon mari, ils sont tous enseignants, lui voulait l’être aussi alors je l’ai suivi. Mais en me disant “si je n’ai pas mon concours du premier coup je ne le referai pas”. Et je l’ai eu. Lui a dû s’y reprendre trois fois !

Mais je ne me sentais pas à ma place. Les notes, le fait d’avoir plusieurs casquettes… Lorsque j’étais professeur principale, je faisais beaucoup d’échanges, de projets. Je suis allée en fac de psycho par curiosité, j’avais toujours mon boulot à côté, et deux enfants. 

J’ai passé mon concours le 21 septembre 2005. J’ai annoncé le 22 septembre que je quittais mon boulot! J’ai travaillé pendant treize ans dans une institution pour enfants handicapés. Mon expérience de prof m’a beaucoup aidée. 

Quand j’interviens dans un collège je suis comme un poisson dans l’eau. 

Mes parents étaient ouvriers. J’avais envie de gagner plus d’argent que mes parents pour pouvoir aller en vacances. Mes parents ne pouvaient pas me payer mes études, donc j’avais une bourse. Et je savais que si je redoublais je perdrais ma bourse. donc ça m’a motivée. 

Mes deux métiers étaient des métiers passion.

Combien de livres avez-vous écrit ?

Environ une soixantaine, dont beaucoup d’albums pour les tout-petits.

Ça rapporte bien? 

Pas trop pour le moment. 

Mais je crois que c’est plus important de s’accomplir comme quelqu’un d’épanoui et heureux, et pas seulement par rapport à son compte en banque. 

Je crois qu’on a aussi un “compte en banque émotionnel”.

Lequel de vos livres préférez-vous ? 

Je les aime tous ! J’ai une petite préférence pour le premier qui est paru chez une maison d’édition parisienne : c’était la réalisation du rêve.

Est-ce que vous vivez du livre, est-ce qu’auteur c’est votre métier principal?

Pas tout à fait. A côté je suis psychologue. Depuis trois ans je suis à mi-temps, j’exerce en libéral ce qui me laisse une plus grande liberté pour écrire. 

Vous touchez quelle part du prix du livre ?

J’adore cette question !

En fait, quand on signe un contrat, souvent on a un chèque d’avance : c’est un montant qu’on a quoiqu’il arrive, même si le livre ne se vend pas. Ensuite, on a droit à un pourcentage des ventes, mais il faut que les ventes dépassent le montant de l’avance. 

C’est pour cette raison que c’est assez difficile de vivre du métier d’auteur jeunesse : le maximum qu’on touche, c’est 8%, en littérature générale c’est plus. Puis les droits tombent entre le 1er janvier et le 31 juillet de l’année suivante, quand on en a. 

Je ne sais jamais où je vais financièrement. 

Je suis éditée depuis 2013, et je ne touche des droits que depuis trois ans, et seulement de quelques maisons, pas de toutes les maisons qui m’ont publiée.

Cette année, on a senti que la pénurie de papier impactait certains projets, qui ont été mis en suspens. 

Quel est votre livre qui a le plus marché ?

Je crois que c’est #trahie. Et aussi un album paru chez Gautier Languereau, Colère de Loup. Il y a aussi Anémone se met en danger, le panda

Certains de mes titres sont traduits à l’étranger : dans ces cas-là, je touche des  droits net, donc c’est plus rentable. 

Mon autre rêve, c’est d’être adaptée à la télé, en série ou en dessin animé.

C’est très différent d’écrire spontanément, pour le plaisir, et d’écrire pour une commande d’un éditeur ?

Quand c’est une commande, ça demande plus d’efforts, c’est plus coûteux. Il faut rentrer dans le thème, c’est un peu moins naturel au début.

Est-ce que vous avez la liberté sur le contenu, et sur le timing? 

Oui et non : quand j’écris pour moi, oui. Quand je réponds à une commande, non, je signe un contrat, quand le texte convient : je dois répondre à la ligne éditoriale, j’ai un nombre de signes maximum. 

Pour la liberté, ça dépend aussi : quand l’éditeur relit, il peut y avoir des coupes, des censures. Il explique toujours pourquoi. 

Dans les collections engagées, on nous demande des romans porteurs d’espoir. Dans Féminine, il y avait des passages de Maël avec son père; les dialogues étaient plus proches de la langue parlée. 

Pour les albums, parfois on me dit inutile de mettre cette phrase, ça se verra dans l’illustration. Ce sont des lectures croisées, c’est un travail d’équipe entre auteur et éditeur. 

Éditeur, c’est un métier très féminin. Depuis que je suis publiée, je n’ai croisé que deux éditeurs, 90% des éditeurs sont des femmes.

ÉCRIRE POUR LA JEUNESSE

Pourquoi écrire un roman et pas un manga ou une BD ?

Je ne lis pas de manga, et je ne suis pas une grande lectrice de BD donc ça me parait difficile à écrire. Mais pourquoi pas un roman graphique pour adulte…

Est-ce qu’il y a beaucoup de sexisme dans le monde de l’écriture? 

Pas tant que ça. C’est plutôt un clivage entre littérature générale et littérature jeunesse : en littérature jeunesse on gagne moins notamment. 

Et puis il y a très peu d’hommes qui sont éditeurs, c’est plutôt un métier exercé par des femmes.

C’est très différent d’écrire pour des ados et pour des adultes ?

On ne choisit pas les mêmes registres de langage, on véhicule les messages autrement. Et puis les romans adultes sont plus conséquents : je fais des romans ados assez courts. 

Pourquoi écrire pour la jeunesse ? 

C’était un choix : j’ai voulu entrer dans le monde de l’écriture par la petite porte, ça me semblait plus accessible. 

En littérature jeunesse, le nombre de signes est réduit, ce sont des livres plus courts, c’est plus facile quand on travaille à côté. 

Mon but, c’est de publier un roman pour public adulte, de 350 pages. Mais c’est un rêve qui est encore difficile à atteindre. Il faut y aller par étapes.

 

Est-ce que c’est difficile d’être édité sur un texte pour adulte quand on est identifié.e auteur jeunesse?

Alors chez Eyrolle, où je publie des livres pratiques, on m’a demandé d’utiliser mon vrai nom, pour rompre avec le reste de mes publications. On sent surtout le clivage dans les salons : la littérature générale et la littérature jeunesse sont séparées.  

Le 5 avril, je suis invitée dans une médiathèque avec Michel Bussi : lui a écrit une enquête autour du petit prince, et moi j’ai fait une version pour les petits chez Fleurus. Et nous sommes invités pour croiser nos univers.

Vous travaillez déjà sur un prochain livre ?

Oui, j’ai un troisième roman qui va sortir chez Scrineo, toujours le même éditeur, qui se passe encore dans un collège.

#trahie je l’avais proposé à l’éditeur trois/quatre ans avant qu’il sorte. On l’a beaucoup retravaillé. L’éditeur m’a demandé de changer la fin, parce que la collection se veut porteuse d’espoir. A l’origine, l’héroïne se suicidait.

Est-ce qu’un ado peut lire un livre pour adulte ?

Oui bien sûr, dans la mesure où ça l’attire, ça l’interresse. 

C’est très différent d’écrire pour des ados et pour des adultes ?

On ne choisit pas les mêmes registres de langage, on véhicule les messages autrement. Et puis les romans adultes sont plus conséquents : je fais des romans ados assez courts. 

Est-ce que plus tard, vous envisager d’écrire un livre sur ce que les femmes vivent au quotidien? 

Je ne sais pas. J’écris beaucoup sur la parentalité, des livres pratiques, et pour l’instant ça reste un domaine des femmes.

LES MOTS DE LOUISON

Vous écrivez comment? 

J’écris sur ordinateur. J’ai besoin de lumière, et mon bureau est très sombre. donc les quelques fois où je peux écrire une journée complète, le matin je me mets dans ma salle, en silence. Et l’après-midi, je me mets au salon, avec un thé, la télévision en fond, et souvent le chat qui vient me faire des câlins. Au bout d’un moment, j’éteins la télé, quand je n’ai plus besoin d’un bruit de fond. 

Et quand je suis en vacances, j’écris sur un cahier ou un calepin, j’en ai toujours un avec moi. 

Je m’interdis d’écrire les week-ends.

Est-ce qu’il vous arrive de manquer d’inspiration ? 

Ces jours-là, je n’écris pas. Mais ça ne m’est jamais arrivé d’avoir une vraie page blanche. Ma hantise c’est de ne pas réussir à honorer mes commandes. 

Et quand on stresse on crée moins.  

Combien de temps ça vous a pris pour écrire ce livre ?

Ça se fait en plusieurs étapes : le premier jet, je dirai 35 heures environ, étalées sur plusieurs semaines. Après, je laisse le texte de côté un moment et puis j’y reviens un peu plus tard. Je fais ça 3 ou 4 fois.

Pour Féminine, j’ai beaucoup tâtonné au début, ce n’était pas fluide. Je travaille sans plan détaillé. J’ai beaucoup de mal à me canaliser et les éditeurs me remettent sur les rails. 

Mais il n’y a pas de règle. Il y a d’autres livres que j’ai écrit très très vite. Un album pour les petits, ça peut aller de 10 minutes à 1 heure. 

Les romans ça prend plus de temps. Je ne sais jamais comment je vais terminer un roman. A un moment les personnages m’embarquent, et j’ai parfois le sentiment que ce n’est plus moi qui écris. 

Vous avez déjà eu une longue période de page blanche ?

Quand je sens que ça pêche un peu en général c’est au moment où les petites vacances arrivent, donc j’en profite pour me ressourcer. Même si ça me démange d’écrire, je n’écris pas, mais je lis beaucoup dans ces moments-là.